jeudi 04 avril, 18h
L’espace d’abord
Les dessins de Virginie Delannoy
À l’instar d’Hannah Villiger qui insistait sur la dimension sculpturale de son travail photographique, Virginie Delannoy s’est lancée dans une production graphique depuis quelque temps sans faire l’impasse sur les valeurs tridimensionnelles qui l’intéressent. Si son atelier ressemble davantage à un entrepôt de meubles abandonnés – parfaitement rangé – qu’elle déplace volontiers dans des lieux d’exposition pour des installations vivantes de perspectives – tantôt imbriquées, tantôt orchestrées, tantôt éclatées –, elle sait faire du rebut un élément constructif de savantes mises en scène, et insuffler une nouvelle énergie à des volumes ayant perdu leur fonction. Virginie Delannoy conserve ce potentiel de sculptrice quel que soit le médium dont elle se saisit. Son regard est pleinement orienté sur les creux, les pleins, les profondeurs ou les jeux de lumière. Ainsi, même en dessinant, elle considère les formes comme des masses et joue avec la puissance de leur mise en scène. Une alchimie qui ne s’invente pas, mais dont l’évidence transparaît même à plat.
Le dessin de Virginie Delannoy n’a rien d’intime. Il se déploie sur des formats « grandeur humaine ». Des formats qui se justifient par l’amplitude du geste, le rapport au corps et le possible recul sur l’image. Il se réalise sur du papier isolant – prévu initialement pour protéger les sols – à coups de rubans adhésifs, de fusain ou de craie noire. Autant de matériaux inextricablement liés au contexte de la construction. Le scotch ne répare rien, il colore, luit et joue de contraste avec la poussière mat du fusain. Les lignes n’esquissent rien, elles s’étirent en des points de fuite construisant du solide et de l’abstrait en même temps. Sur le papier, aucune ligne ne résultera d’une intuition du moment ou d’une intrusion du hasard. Tout correspond au contraire à une observation de la réalité. Car avant de passer au dessin, Virginie Delannoy réunit des objets, tels qu’un carton pris dans un tiroir en équilibre sur une étagère ou un amas de briques ou de boîtes.
Rappelons que la pratique du dessin est née dans le contexte d’un chantier, un bâtiment en cours de transformation qui a laissé de la place à un lieu de travail temporaire. Dans cet atelier éphémère abandonné à la bohème – fait de matériaux bruts ou d’emballages déchirés, ouvert à de nouvelles expérimentations, le travail de l’artiste s’est fait plus léger dans sa logistique : pas besoin ni de déplacer ni de porter ni de ranger les éléments de mobilier qu’elle a l’habitude d’installer, d’empiler, de retourner à bout de bras. Tout se joue dans un même format, frontal, sous un angle bien précis induit par le dessin. L’espace de la feuille est aussi bien habité par le vide que conquis par des accumulations d’objets divers difficilement identifiables. Enfin, dans l’accrochage, les enchevêtrements de lignes juxtaposés de façon sérielle s’organisent en séquences et promettent au regardeur de se plonger à l’intérieur des compositions. Sans perturbations, sans crissements, il y a une invitation franche et sans détours dans les méandres des tons cassés qui contribuent à rythmer l’ensemble et peut-être amorcer un début d’histoire…
Karine Tissot, mars 2019
mardi - samedi : 14h / 18h