Nous continuâmes à ramer sous les murs mêmes...

Sabine
Tholen

Nous continuâmes à ramer sous les murs mêmes...

07.06 — 29.06.13

Si l’on aborde les représentations suivant les remarques formulées par Wittgenstein dans le Tractatus, on peut considérer l’image, ou plutôt le tableau comme un modèle, une transposition du réel. Cette approche demande en premier lieu de se distancier de toute conception de l’image qui tendrait à établir la ressemblance comme propriété fondamentale de la représentation. L’image n’est en aucun cas une simple copie ou une imitation du réel. Elle est une structure organisée, apte à représenter la réalité, sans nécessairement lui ressembler. De ce point de vue, « représenter un fort » et « ressembler à un fort » sont deux procédés symboliques distincts qui ne s’excluent pas et souvent se côtoient, sans nécessairement être dépendants l’un de l’autre. Une photographie en noir et blanc par exemple ou une image matricielle du type bitmap ressemble de manière intuitive au sujet qu’elle représente. Cependant l’image ne possède pas de tridimensionnalité, elle traduit les propriétés chromatiques réelles par des gradations de gris ou encore elle ne respecte clairement pas les dimensions des objets photographiés. Il est intéressant de relever que le réel, ou plutôt le visible, est représenté selon des conventions qui renvoient plus à la structure de la représentation qu’aux propriétés mimétiques de l’image photographique. Toutefois, la limite entre la représentation et la ressemblance semble bien plus fragile que ce que l’on pourrait délimiter par la pensée ou simplement définir ; mais c’est vraisemblablement cette zone d’indétermination, ce seuil instable qui confère à l’image une richesse et un caractère qui parfois frôlent l’indicible. L’installation de Sabine Tholen se situe sur une limite suspendue, une frontière seulement esquissée et difficilement localisable. À travers une démarche maîtrisée qui brouille les frontières qui délimitent l’intérieur et l’extérieur, le vide et le plein, l’artiste réalise un dispositif qui d’une certaine manière relève les paradoxes de la représentation. Dans un espace interstitiel aux contours indistincts, entre une absence perceptible et une présence fantomatique, les images semblent questionner à la fois leur statut et les propriétés esthétiques qu’elles donnent à voir. Ces œuvres laissent ainsi émerger une expérience particulière du seuil, une limite explicitée tant sur le plan conceptuel que sur celui du visible. La stratification des images contraste avec la superficialité littérale des formes représentées. Les surfaces se multiplient et se superposent sans pour autant nous laisser percevoir une réalité qui se trouverait au-delà. Tout est en surface et pourtant beaucoup se dit ailleurs. Le dispositif de Sabine Tholen semble ainsi disperser les apparences à travers une multitude de couches qui sans cesse se renvoient les unes aux autres. Les présences se dessoudent derrière des façades apparemment impénétrables et le réel se superpose à une paradoxale maquette en béton projeté à l’échelle 1:1. Suivant cette logique stratifiée et multipliable, l’observation même de l’ensemble est fractionnée et semble ne pas converger vers une vision globale homogène. La perception doit au contraire se reconstituer par étapes successives et différées, sans pouvoir en dernière instance dépasser le seuil de l’image. On pourrait dire que dans ce sens, les limites de nos représentations signifient les limites du réel. (Patrick Gosatti)

 

Avec le soutien du Fonds municipal d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC)