Grand marais 2023 peinture à l’huile, 90 x 120cm

Gustave est au téléphone et on demande, d’où viennent tes personnages et comment tu les crées ?

Gustave répond, je ne les crée pas et ils viennent à moi, un peu comme s’ils sortaient des murs ? Je pense que le possessif n’est pas approprié non plus.

Gustave continue et explique.

Une fois, près du pôle, je suis sur une embarcation qui se disloque. Je ne sais pas si je dois continuer ou retourner sur le continent. Mais sur le continent il y a des barbe- lés. Je regarde en arrière et je vois encore l’écume laissée par mon trajet. En direc- tion du pôle, l’horizon est flou, je ne comprends pas très bien ce qui est mer et ce qui est ciel. Je ne sais plus si je cherche quelque chose ou si je suis simplement perdu. Ça m’éblouit et j’ai la peau brulée.

Je regarde fixement vers le pôle et une sorte de brèche s’ouvre au milieu de l’air. Et puis, j’entends des voix. Elles viennent de la brèche, c’est sûr. Elles disent, viens, ici tu seras libre, sans barbelés. J’ai un peu peur mais je suis tenté. Peut-être qu’effectivement, je serai libre. Je regarde mes jambes brulées et sans trop réfléchir je dis, non, vous, venez et réparez mon monde. La brèche se referme et je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça.

Quand sur le retour j’aperçois la côte du continent, mon embarcation a coulé depuis longtemps. J’ai un peu moins mal et être plongé dans la mer me soulage la peau. Je regrette ce que j’ai dit, c’était comme un ordre, mais je ne sais plus très bien si ce que j’ai entendu a réellement été dit.

Sur le continent, je suis à nouveau parmi les barbelés et me dirige vers mon chez moi. En m’y approchant, j’entends des bruits que je ne connais pas. Puis, je reconnais parmi ceux- ci les voix de la brèche. Pas de brèche cette fois, mais je vois que les voix ont des formes et des corps et qu’elles ont rejoint ce monde.

Dans la pensée aussi il y a des marées et parfois tout se bouscule. Depuis, les personnages apparaissent de plus en plus. Je dis personnages mais ça peut être des choses, des branches. Ils sortent de partout, comme je disais, des murs et des marais. Ils me protègent des barbe- lés. Parfois, je les vois seulement avec les yeux de mon esprit. Même, la nuit, des animaux viennent me visiter et quelques fois me parlent.

Parfois, je comprends ce qu’ils disent et ce que disent les voix des personnages aussi. Je crois.

Je ne sais pas si je visiterai un jour la brèche, ou une des brèches, s’il y en a plusieurs. Je ne sais pas si j’en ai le désir non plus. Peut-être que je dois rester ici et tenter d’être leur messa- ger. Je dois les écouter en tout cas.

Texte de Lucas Cantori

Margaret Lucas Cavendish The Blazing World (1666), Meg Elison, The Portal (2019)